Harlequin et Colombine : l’industrie plafonne, l’amour aussi

Publication year
1983
Journal
Études littéraires
Volume
16.3
Pages
351–362
Comment

La plupart des commentateurs s'imaginent en effet avoir fait le tour du sujet lorsqu'ils ont énuméré quelques-unes des marques récurrentes. Et ils ont nettement tendance à exagérer ces similitudes: par exemple, chacun s'amuse à répéter que l'héroïne est toujours vierge, alors que c'est loin d'être le cas (même dans des romans qui datent déjà de quelques années). Il suffit aux commentateurs de détecter la présence d'une formule, d'une structure narrative (structure visible lorsqu'on a lu deux ou trois romans) pour condamner le genre. Mais le retour d'une structure narrative n'implique nullement que l'histoire soit toujours la même. Il faut reconnaître que la formule Harlequin est précise mais flexible, qu'elle laisse une place à l'imagination de l'auteure et au plaisir renouvelé de la lectrice. (357)

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Il y a dans chaque roman Harlequin une foule de petits renseignements sur le pays où l'action se déroule: on ne manque jamais de parler des vêtements des habitants, de leurs coutumes et de leurs habitudes alimentaires. Et ces détails sont plus que des signes interchangeables: la compagnie exige de ses auteures que leur recherche soit bien faite, que les informations données soient authentiques. En misant systématiquement sur le plaisir de la consommation des peuples et de leur culture, moteur du discours touristique moderne, les stratèges d'Harlequin font preuve d'une connaissance précise de l'état actuel de la rêverie collective sur les thèmes familiers de l'aventure, de la liberté et des vacances. Mais il y a autre chose. L'arrivée dans le pays étranger c'est aussi, pour l'héroïne (comme pour le touriste contemporain), l'occasion d'une levée de certains interdits, d'un relâchement du sur-moi. Le décor exotique est foncièrement sexuel : il permet une audace inhabituelle des fantasmes et des gestes.  (358)