Jeune fille moderne, jeune fille instruite. L’instruction des héroïnes sentimentales chez Police Journal (1944-1965)

Publication year
2022
Journal
Études françaises
Volume
58.1
Pages
55–75
Comment

The article's in French but there's a version of the abstract in English:

In the post-war period in Quebec, a surprisingly modern discourse shows up in sentimental dime novels on the importance for girls of an “American-style” education. The education would allow for the heroine’s escape into the exciting world of work, conducive to meeting with interesting men (unlike the often girl-only places of education). This stage is only a springboard to social rise and finding love. Having hardly entered in the category of students, then of workers, she returns home as the queen of the household. Although it occupies only a limited textual space, the discourse on education is central to the economy of the stories. The dime novels insist on the importance of professional (trans)formation, as the best–and sometimes the only–lifeline for the heroine, who must transition from a young girl to a (modern) woman. Most of the time, the story ends with a promise of marriage that announces giving up a barely begun career. However, education weighs heavily in the seductive capital of the young girl : it has multiple functions of consecration for the sentimental heroine.

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La série « Roman d’amour » des éditions Police Journal compte huit cent soixante-dix-huit titres parus à la chaîne entre 1944 et 1965, et vendus massivement autour de dix sous dans mille huit cents points de vente. En trente-deux pages, ces petits romans, proches du dime novel, entassent les péripéties s’inscrivant dans un canevas sentimental fixe : rencontre, confrontation polémique et triomphe de l’amour. (55)

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Or s’il n’occupe qu’un faible volume textuel, le propos sur l’éducation est central dans l’économie globale du récit : les fascicules martèlent l’importance de se former professionnellement, ce qui représente la meilleure garantie de la valeur matrimoniale des protagonistes, en particulier pour l’héroïne. (58)

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Mon article se divise en quatre parties qui correspondent aux différentes fonctions narratives de l’éducation. Dans les deux premières, j’expliquerai deux fonctions poétiques de la formation qui servent à compléter le portrait type de l’héroïne sentimentale : elle révèle son autonomie, elle garantit sa féminité. Dans la troisième partie, je démontrerai que la diplomation joue un rôle de catalyseur dans le passage de l’état de fille à celui de femme. Je postule que la remise du diplôme, événement très circonscrit dans les fascicules, occupe une fonction symbolique de rite de passage pour la jeune fille, signant son entrée dans la catégorie des femmes du monde. Enfin, je déplierai l’idée selon laquelle les femmes de papier tiennent un discours ambivalent sur la condition de reine du foyer, aboutissement narratif attendu de l’architexte sentimental. Ce malaise autour du statut de la femme mariée laisse entrevoir une fonction imprévue de l’instruction qui agit comme soupape pour l’évasion des lectrices. (58-60)

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Si les études aident les héroïnes à surmonter leurs revers de fortune, tout se passe comme si le succès scolaire fonctionnait aussi, sur le mode symbolique, comme une dot. (62)

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L’intellectualisme peut paraître suspect chez les prétendants : des études prolongées dans le temps (j’en ai dit un mot) ou trop poussées dénaturent les héros sentimentaux, les dépossédant de leur virilité. Un phénomène analogue s’observe chez les femmes. [...] Les représentations de la femme intellectuelle sont à peu près inexistantes dans les fascicules sentimentaux. C’est par le silence qu’est dite l’idée que les femmes savantes font de moins « bonnes » épouses. (63-64)

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dans ses représentations les plus huppées, l’éducation s’accompagne du luxe de l’inutilité. Idéalement, la protagoniste n’aura pas à mettre en pratique les connaissances qu’elle a acquises. (66)