D’amour et d’or pur. Les impératifs matérialistes du bonheur amoureux dans le roman sentimental québécois de l’après-guerre

Publication year
2022
Journal
Études françaises
Volume
58.1
Pages
33–53
Comment

The article is in French but there's an English version of the abstract:

Still understudied, the sentimental post-war dime novels in Quebec provide an original representation of the happiness of love. Their protagonists contradict the stereotype of the humble and modest French Canadian born to a life of sacrifice. On the opposite, the stories make material comfort an inescapable condition of marital bliss. The analysis of a corpus of some fifty novels reveals that this script follows three main scenarios : the fairy tale, the moral test, and the condemnation of the lure of profit in the matter of love.

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Notre article se base sur l’analyse d’une trentaine de fascicules de la série « Roman d’amour » des éditions Police Journal. Parus au Québec entre 1944 et 1965, imprimés chacun à des milliers d’exemplaires, vendus 0,10 $ (avant de passer en fin de période à 0,15 $) dans le circuit des kiosques à journaux, ces fascicules offrent une fenêtre privilégiée sur les aspirations du lectorat canadien-français à un moment de profond renouvellement des normes et des valeurs de la culture populaire. (33)

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S’il y a quelque chose qui frappe à la lecture des fascicules de Police Journal, c’est bien la place qu’y prend l’aisance financière, incarnée précisément par la voiture et les loisirs. Certains héros roulent dans de rutilantes décapotables et plusieurs jeunes gens fréquentent des lieux de détente bien en vue, de luxueux hôtels et des restaurants renommés. Le confort domestique dessine l’horizon de cette félicité collective : une fois mariés, il est attendu que les personnages participent à l’univers matérialiste de la classe moyenne, au point où la romance publiée à cette époque a pu être décrite comme de la middle-class propaganda. (34)

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trois scénarios typiques se dessinent, que nous explorerons successivement. Le premier, classique entre les classiques, reprend la trame du conte de Cendrillon. Le deuxième raconte une histoire assez semblable, tout en lui ajoutant une dimension morale : c’est dans le refus même de l’argent (et du statut social du héros) que l’héroïne se révélera digne d’être aimée. Enfin, dans le troisième scénario, il s’agit de punir l’héroïne qui travestit l’amour au nom de ses espérances d’ascension sociale. Elle ne mariera pas un prince, mais elle se consolera en épousant plutôt un chevalier dont il n’est pas dit qu’il ne pourra, par son ardeur au travail, gagner très aisément leur vie. Elle aussi, donc, trouvera l’amour et la richesse, mais non sans s’être fait servir dans l’intervalle une dure leçon de vie. En la faisant descendre temporairement de quelques barreaux dans l’échelle sociale, le récit la punit par où elle a péché, tout en ne lui refusant pas une vie de plaisirs et de confort. (39-40)