La censure du roman sentimental en France ou le refoulement des mauvais genres

Publication year
2009
Journal
Belphégor
Volume
8.2
Comment

la naissance du roman d’amour catholique s’inscrit dans une stratégie de reconquête des âmes ou de leur maintien dans la sphère d’influence idéologique et politique de l’Eglise. Stratégie qui implique un repli et un compromis : on ne peut empêcher le peuple ni les femmes de lire ; il faut donc – c’est un corollaire – récupérer ce désir de lire.

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Le roman d’amour catholique est, nous l’avons dit, un récit engagé, d’initiation à la vie sentimentale, de préparation au mariage et à la fondation d’une famille chrétienne. Rien d’étonnant donc si les auteurs insistent sur les vertus de dévouement, de sacrifice, de soumission : ce sont les devoirs qui attendent la jeune fille une fois mariée et mère de famille. Mais aussi, si elle se conforme à cette morale, elle conquerra le cœur de celui qu’elle aime et le bonheur. Le dénouement qui désormais est toujours (ou presque) une fin heureuse lui assure que le bonheur est possible, mais qu’il se mérite.

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Les structures du roman d’amour catholique de la jeune fille (schéma actanciel, système des personnages) sont déterminées par la conception chrétienne et conservatrice de la destinée de la femme et par la conception de l’amour qui en découle ou en est une composante. La passion violente et aveugle n’est pas l’amour vrai. « L’amour vrai » ou « l’amour permis » (ce sont des expressions récurrentes chez les auteurs, chez Delly notamment) est un sentiment pur, c’est un désir de dévouement à l’autre et un affect quasi-rationnel parce qu’il se fonde sur l’appréciation des qualités morales et sociales du partenaire, sur l’estime et l’admiration. En outre chez l’homme, il est désir de protection d’un être plus fragile et chez la jeune fille sentiment de sa faiblesse et besoin d’être protégée (d’autant qu’elle est souvent seule dans la vie).

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Le roman d’amour a beau être devenu un mauvais genre, un produit industriel et commercial, il continue cependant à être critiqué. Des années 1950 aux années 1980 il fait l’objet de campagnes hostiles régulières. On peut y distinguer deux grandes vagues : la première au début des années 1950 ; la deuxième aux lendemains de 1968 durant toute la décennie 1970. Dans les années 1980, avec l’invasion des Harlequin en France, une nouvelle vague s’amorce ; on note cependant à partir de cette décennie un infléchissement notable dans l’attitude de certains Lettrés (universitaires principalement) à l’égard du genre.

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On aura noté la rémanence, la persistance des arguments déjà utilisés dès 1840. S’agissant d’une lecture très majoritairement féminine, on peut penser que le discours repose toujours sur l’idée reçue, la doxa que la femme, par nature ou par condition sociale, est un être plus faible que l’homme, dominé par sa sensibilité. Elle devrait donc être protégée contre elle-même et contre les agressions de la société capitaliste selon les communistes, matérialiste, disent les catholiques, patriarcale et machiste pour les féministes.